Urban Mining : à la conquête de chantiers dorés en ville
Chaque année, le secteur de la construction produit 15 millions de tonnes de déchets de construction et de démolition rien qu'en Flandre. C'est l'équivalent de pas moins de 40 Empire State Buildings démolis. Cette gigantesque montagne de déchets signifie bien sûr une mine d'or potentielle de matières premières et de matériaux réutilisables. Les avantages que l'urban mining (exploitation minière urbaine) peut représenter pour le climat, l'être humain et la nature semblent évidents, mais est-ce vraiment aussi simple et bénéfique qu'il n'y paraît à première vue ? Nous posons la question à 3 experts : Peter Artois : directeur technique chez ION, Anton Maertens : cofondateur de BC Architects Studies & Materials et Sam Vandenberghe : Atelier Circuler vzw (un atelier ouvert où l'on pratique l’art de l’urban mining).
En quoi consiste l'urban mining exactement et quelles sont les techniques déjà utilisées à l’heure où nous nous parlons ?
Sam : « À l'Atelier Circuler, nous désossons tout ce qui n'a pas de valeur structurelle. Nous collectons également les éléments qui ont déjà été démantelés. Il s'agit de matières premières qui peuvent être directement réutilisées et que nous remettons donc dans le circuit sans trop d’efforts. »
Anton : « Nous percevons la ville comme un terrain de jeu miné de matériaux qui ont encore énormément de valeur. Nous nous concentrons principalement sur la terre. En effet, quasiment tous les projets de grande envergure impliquent des travaux d’excavation. À Bruxelles, par exemple, quelque 2 millions de tonnes de terre sont excavées tous les ans. Ce nombre s’établit à pas moins de 37 millions de tonnes rien que pour la Belgique. Cette terre peut parfaitement être utilisée pour être transformée en plâtres, en briques de glaise ou en pisé. »
Peter : « Pour nous, l'urban mining fait partie intégrante de notre vision globale en matière de durabilité et d'innovation. Nous intégrons également les aspects circulaires dans nos projets de construction. À ce titre, nous considérons aussi les bâtiments disséminés en ville comme des lieux de stockage renfermant de nouvelles matières premières. Ce n'est pas une mince affaire, mais c'est un défi que nous devrons relever de plus en plus. »
Cette nouvelle tendance a-t-elle également une influence sur le prix des nouvelles constructions ?
Anton : « Le prix de vos matériaux par rapport au coût total de votre projet n'est pas toujours si énorme. N’oublions pas le coût salarial et les nombreuses installations techniques qui peuvent parfois être onéreux ; donc en ce sens, effectivement le coût total peut parfois être élevé. Mais si nous regardons les choses d'un point de vue belge ou flamand, cette manière de procéder semble particulièrement intéressante pour notre économie. Nous récupérons en effet des matériaux locaux et créons de la valeur ajoutée et des emplois. L’approvisionnement en matériaux dans des contrées éloignées comme en Inde et en Chine n’apporte aucune valeur ajoutée à notre économie.
Y a-t-il également des inconvénients ou des obstacles auxquels nous sommes confrontés ?
Peter : « Nous pratiquons le plus souvent le décyclage. Nous produisons un produit résiduel de moindre valeur à partir de briques ou de béton que nous utilisons ensuite comme fondations pour les routes. Partir de ces matériaux pour créer un produit qualitatif relève du défi. Cela nécessite des certificats et des normes, ce qui n'est pas toujours facile. L'origine du matériau n'est pas toujours connue et le volume ne correspond pas toujours non plus. En ce qui me concerne, il serait intéressant d’obtenir une sorte de banque de matériaux afin que nous puissions les regrouper. Ce système n’est pas encore très répandu aujourd’hui ce qui est handicapant, mais il est appelé à se développer dans tous les cas. »
De nombreux bâtiments en cours de démolition sont vétustes. Les matériaux réutilisables sont-ils de suffisamment bonne qualité que pour être réutilisés ?
Anton : « Absolument. Dans le secteur de la construction, vous êtes évidemment obligé de respecter des normes et ces aspects juridique et administratif peuvent paraître fastidieux. Je pense que ce n'est pas insurmontable. En outre, des entreprises comme « Atelier Circuler » affinent de plus en plus leur travail et accumulent sans cesse des connaissances qui permettront de mieux adapter leurs offres aux besoins des promoteurs. La seule question c’est de savoir avec quelle rapidité nous surmonterons les obstacles et comment rendre cette option économiquement viable. C’est pour ça qu’il est bon que des pionniers tels qu’ION se lancent dans l’aventure et empruntent cette voie. »
Peter : « ION est sans conteste un pionnier. Nous prenons les devants et l'urban mining est conforme à nos principes de durabilité. Le fait que nous ayons également besoin de moins de matières premières pour produire de nouveaux matériaux est une évolution positive pour la planète. En Région de Bruxelles-Capitale par exemple, un trajet a été mis sur pied pour la démolition des bâtiments. Désormais, il ne sera plus possible sur le plan légal de démolir un bâtiment n’importe comment. Si vous ne commencez pas à y penser dès à présent, vous manquerez le coche. »
Pensez-vous qu'il faille davantage de stimulants de la part du gouvernement pour encourager et faciliter l'urban mining ?
Sam : « Oui, je pense qu'il y a encore beaucoup de vides juridiques rendant impossible toute réutilisation sur le plan juridique. La définition de ce qui constitue un déchet est également très large en Belgique. Tout produit dont on veut se débarrasser sans frais est assimilé à un déchet. Il est donc parfois difficile de travailler avec ce matériau. Pour donner un petit exemple : si vous souhaitez construire une banque à partir de palettes, vous êtes partis pour de longues discussions. Peut-on les vendre comme ça ? En principe, une ASBL n’a pas l’autorisation de gérer des déchets. Il en va de même pour les produits liés au secteur de la construction. Il nous est possible désormais de réutiliser et de réaffecter des produits pour leur usage initial, nous permettant ainsi de travailler la matière. Pour produire à plus grande échelle par contre, nous avons besoin d'un statut qui nous autorise à transformer les déchets en matières premières. Nous essayons en ce moment d'obtenir ce statut, mais ça ne se passe pas sans heurt. »
Qu’en sera-t-il de l’urban mining d’ici 10 ans ?
Sam : « J'ose espérer qu'elle deviendra davantage monnaie courante à l’avenir et qu'elle sera considérée comme la règle plutôt que l'exception. Ou qu’une réduction des charges soit envisagée sur les produits circulaires. »
Anton : « Je pense qu’elle deviendra la norme d’ici 10 ans. Cela ne se fera pas sans accrocs, mais aujourd'hui, le secteur de la construction est responsable d'une quantité non négligeable d'émissions de CO2. L'urban mining peut faire baisser ce chiffre de manière significative, ce qui permettra peut-être d'atteindre plus facilement les objectifs climatiques. »
Peter : « Je rejoins ce qui vient d’être dit. À l’heure actuelle, nous partons du principe qu’il est possible de récupérer 95 % des éléments. Je suis convaincu qu’à l’avenir cette récupération se fera de manière automatique lors d'un nouveau projet. Les nouvelles constructions pourraient à l’avenir se voir imposer des obligations particulières : notamment en termes de pourcentage de matériaux recyclés. D'ici 10 ans, ce sera probablement un automatisme. »
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